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ENG ÄERD

Note d’intention

Le 15 mars 2019, nous avons filmé pour le documentaire ENG ÄERD la première grève pour le climat au Luxembourg. Dans la façon dont la société considère et ressent la crise climatique, cette manifestation a marqué le début d’un changement auquel nous ne nous attendions pas mais qui a eu un impact certain sur notre travail.

Dans le scénario, nous avions prévu un prologue dans lequel les problèmes écologiques devaient être explicitement exposés. Au cours du montage, il nous est cependant apparu de plus en plus clairement que nous pourrions laisser de côté ces explications. Près de 50 ans après la mise en garde du Club de Rome contre une croissance illimitée, des millions de gens ont réalisé en quelques mois en 2019 que notre mode de vie nous conduisait dans une impasse dont il serait très difficile de ressortir. Le changement climatique et l’extinction des espèces sont devenus ces dernières années des notions auxquelles plus personne ne peut se soustraire. En Allemagne par exemple, 93% de la population considèrent maintenant la protection de l’environnement et du climat comme des sujets importants ou très importants.

Les initiateurs du film ENG ÄERD – le CELL et le Syndicat intercommunal du Canton de Redange – souhaitaient une approche « globalement positive et axée sur les solutions ». Personnellement, je réagis plutôt aux messages alarmants. Mais dans un entretien avec Michael Brüggemann, professeur en sciences de la communication, j’ai lu fin octobre 2019 que le mot allemand « Umweltsünder » (littéralement « celui qui commet un péché contre l’environnement ») pour désigner les pollueurs, est un terme moralisateur propre à la culture allemande. J’ai compris que seule une minorité de gens agissent par mauvaise conscience. Ma copine m’avait déjà répété de nombreuses fois qu’il ne servait à rien de faire appel à la mauvaise conscience des gens. Au lieu de perdre du temps à se lamenter, on ferait mieux d’agir pour que les choses avancent dans le bon sens. Dans le film, nous n’avions jamais l’intention de jouer aux donneurs de leçons mais à la fin du montage, nous avons enlevé la moitié de ce qui pouvait encore, de près ou de loin, y ressembler. Je crois que c’était une bonne décision, parfaitement en symbiose avec ce qu’étaient les objectifs du film depuis le début.

Chaque personne qui veut bien ouvrir les yeux et les oreilles connaît aujourd’hui les enjeux. Cela ne nous empêche pas d’essayer de minimiser le plus possible la gravité de la situation. C’est humain. Si nous sommes honnêtes envers nous-mêmes, nous savons tous qu’il nous arrive, en toute connaissance, conscience et bonne foi, de craquer. Quand l’avion ne coûte pas grand-chose, il est difficile de renoncer à voler même si nous savons que l’impact sur l’environnement est environ 50 fois plus élevé qu’un voyage en train. Quand la pause de midi ne dure qu’une demi-heure et le repas à la cantine ne coûte que 7,50 euros, nous avons tendance à oublier notre décision de ne plus manger que des poules ayant mené une vie heureuse en plein air. Et quand les dernières viennoiseries qui restent le soir au supermarché sont vendues dans des boîtes en plastique transparent, nous les achetons quand même.

Comment changer tout cela ?

Une conférence organisée fin octobre 2018 par le Mouvement écologique a parfaitement résumé les choses. Sous le titre « Damit wir tun, was wir für richtig halten (trad : Comment faire pour faire ce que nous pensons être nécessaire), Michael Kopatz a expliqué que, malgré toute notre bonne volonté, nous ne serons pas efficaces tant que la politique n’imposera pas les jalons nécessaires. Parmi les nombreux exemples qu’il a donnés ce soir-là, j’en ai surtout retenu un. Dans une étude réalisée par l’ONU auprès de 1000 dirigeants issus de 100 pays différents, 80% d’entre eux ont déclaré souhaiter que les pouvoirs politiques mettent en place des règles plus strictes afin de les obliger (et du même coup aussi leurs concurrents) à gérer leurs entreprises de façon plus durable. Selon moi, c’est exactement ce que Greta et tous les jeunes, mais aussi les adultes, expriment en manifestant : sans une politique de régulation forte qui fait fi des intérêts économiques à court terme, on est dans l’impasse. Si nous ignorons des faits sur lesquels 97% des climatologues sont aujourd’hui d’accord, nous allons très probablement, et sans excuse, droit dans un mur qui causera d’énormes dommages.

A contrario, une démocratie ne peut pas faire davantage que ce que veut la majorité des citoyens. Cette prémisse fait partie de la proposition de Michael Kobatz : Comment faire pour faire ce que nous pensons être nécessaire. Pour que quelque chose change, il faut que de nombreuses personnes donnent le bon exemple. Et c’est exactement cela que nous voulons faire avec ENG ÄERD. Il est surprenant de voir combien d’initiatives se sont déjà créées au Grand-Duché, qui luttent avec beaucoup d’énergie mais au fond des moyens très simples, pour un monde meilleur. Nous en montrons une petite vingtaine dans le film. Elles sont déjà au moins deux fois plus nombreuses.

Les initiatives présentées dans ENG ÄERD peuvent sembler modestes, négligeables ou insuffisantes. Certaines peuvent même paraître un peu naïves au premier regard. Mais toutes remplissent deux fonctions essentielles : D’une part, ce sont des projets assez simples, des actions dans lesquelles chacun peut se retrouver et auxquelles chacun peut participer. Et d’autre part, elles montrent ce qui est véritablement faisable et sont ainsi à même d’inspirer et d’encourager les décideurs politiques.

ENG ÄERD est un film sur les hommes et les femmes qui font déjà bouger les choses et veulent entraîner d’autres personnes. Si les initiateurs de TERRA, Transition, OUNI, l’économie citoyenne, le Pedibus, l’Äerdschëff ou le Beki arrivent à nous faire participer ou à mettre sur pied de nouveaux projets, leur engagement aura porté ses fruits et on peut espérer que nous arriverons à éviter le pire.

Pour moi, la commande du film a été un beau cadeau. Je ne saurais dire pourquoi mais tant que je me souvienne, j’ai toujours été attentif à ce que l’on appelait la protection de l’environnement et qu’on nomme aujourd’hui plutôt le développement durable, un terme qui, outre l’écologie, prend en compte les aspects économiques et sociaux. C’était pour moi une grande joie et un honneur de réaliser ENG ÄERD. J’espère que le film touchera un grand public et encouragera chacun à faire un ou plusieurs de ces petits pas par lesquels commence tout changement.